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Long way home – le retour du saumon rhénan

Long way home – le retour du saumon rhénan
Ce migrateur qui, autrefois, partait du Groenland pour remonter le cours du Rhin et de ses affluents afin d’y frayer, a disparu de ses eaux depuis plus d’un demi-siècle. Son retour, favorisé par diverses actions, pourrait cependant devenir réalité, mais il reste encore du travail.

Texte de Tibor Rechsteiner, Wildtier Schweiz

La détérioration de la qualité de l’eau, la correction permanente des rivières depuis le 19e siècle et la construction d’innombrables centrales hydroélectriques ont contribué à la disparition du saumon rhénan.

Pour tenter de favoriser le retour du poisson, d’importantes mesures visant à améliorer la qualité de l’eau ont été prises. Au cours des dernières décennies, de nombreuses usines hydroélectriques ont été aménagées pour les poissons, en parallèle avec un programme de réintroduction. Les premiers saumons sont déjà arrivés jusqu’à Bâle, mais il s’agit d’exceptions. Le saumon n’est pas encore de retour en Suisse, mais il est en bonne voie.

Mythe persistant

À Bâle, on rapporte qu’au cours des siècles passés, il aurait existé une loi interdisant aux seigneurs de servir du saumon à leurs serviteurs plus de cinq fois par semaine. Le saumon aurait été le plat du pauvre, puisqu’on le pêchait en abondance. Mais des recherches ont démontré que ces histoires relèvent du mythe. Même si les effectifs étaient importants. Au 15e siècle déjà, le prix du saumon rhénan était bien plus élevé que celui d’autres espèces de poisson.

La grande vadrouille

Comme la truite, le saumon atlantique Salmo salar fait partie de la famille des salmonidés, sauf que la truite de rivière (Salmo Trutta) demeure sa vie durant au même endroit, alors le saumon est anadrome, il migre de l’eau douce à l’eau salée et inversement.

Il fraie en eau douce où les alevins sont préservés des prédateurs et des adultes qui ne se nourrissent pas pendant la migration, et grandissent jusqu’au stade juvénile avant de retourner à l’océan. Le taux de survie des œufs est élevé, raison pour laquelle le saumon ne pond «que» 20000 œufs, un nombre modeste en comparaison aux millions pondus par la plupart des poissons de mer. Les femelles transforment près d’un tiers de leur masse corporelle en frai, raison pour laquelle elles ne fraient qu’une seule fois.

Les jeunes éclosent au printemps, après deux cents jours. Après la naissance, les alevins ont besoin d’habitats bien protégés et riches en structures, comme des branches ou des troncs sous lesquels ils peuvent se dissimuler des oiseaux. Comme ce type de structures reste rare, le bois mort est utilisé en substitution lors de la renaturation des cours d’eau. Durant les premières semaines de vie, les alevins se nourrissent du contenu de leur sac vitellin.

Les saumons demeurent dans les eaux où ils sont nés jusqu’à ce qu’ils aient atteint une longueur de 10 à 15 cm, taille requise pour entreprendre leur voyage vers l’océan. En Suisse, il leur faut deux à trois ans. Dans les cours d’eau pauvres en nutriments du nord de l’Europe, cette phase peut durer quatre à cinq ans. Le meilleur moment pour entamer la migration correspond à celui des crues printanières. Une légère crue permet en effet de franchir plus facilement les obstacles et de passer inaperçus aux yeux des prédateurs, à l’abri dans les eaux troubles au débit plus rapide. La plupart du temps, les saumons se déplacent en bancs, moyen supplémentaire de se protéger.

Ephémérides innés

Comme de nombreuses autres espèces, le saumon tient compte des phases lunaires pour exploiter les courants des marées, lors de son passage de la mer à l’eau douce et inversement. L’élément le plus important pour la migration demeure cependant le niveau de l’eau et le nombre de degrés-jours*.

Avant leur migration, les saumons passent au stade de smolts. Ils perdent leur dessin tacheté similaire à celui de la truite, et se colorent de leur teinte caractéristique de la haute mer. La partie supérieure du corps est foncée, ce qui les protègent des oiseaux et autres prédateurs. Le dessous du corps est argenté, de sorte qu’il brille en reflétant la lumière du soleil. Pour survivre en milieu marin, le saumon doit progressivement s’adapter à l’eau salée et demeurer quelques jours dans les eaux saumâtres. Ce processus constitué de régulation osmotique est fondamental. Dans le delta du Rhin, la transition entre l’eau douce et l’eau salée se déroule artificiellement de manière très abrupte, en présence d’écluses.

*Le nombre de jours durant lesquels l’eau atteint une certaine température; 100 degrés-jours peuvent par exemple correspondre à dix jours durant lesquels la température de l’eau est à 10°, ou à cinq jours si la température de l’eau est à 20°.

En pleine mer

Les saumons poursuivent leur périple en direction de la mer du Nord. On ne connaît pas encore le tracé exact de leur migration. Ils sont nombreux à jouer avec les courants du Gulf Stream et à nager jusqu’à la côte occidentale du Groenland, alors que d’autres iront vers l’Irlande, vers les côtes norvégiennes, ou prendront la direction de l’Islande. Les côtes du Groenland sont riches en krill, une source de nourriture idéale.

Après quelques années en mer, lorsqu’ils sont assez forts pour retourner sur leur lieu de naissance, les poissons accumulent des réserves de graisse puis cessent ensuite de s’alimenter durant leur périple de retour. La remontée dure deux à trois mois dans le cas du Rhin supérieur.

C’est à l’odorat, sens particulièrement bien développé chez le saumon, que le poisson va s’orienter: il parvient à détecter de très faibles quantités de molécules dissoutes dans l’eau, qui lui permettent de retrouver son cours d’eau d’origine. Les anguilles parviennent à détecter une concentration moléculaire correspondant à un morceau de sucre dissout dans le lac de Constance. On ne dispose pas de données comparables pour le saumon mais ses capacités olfactives sont sans doute similaires. Des études ont révélé que le saumon est aussi capable de s’orienter avec le champ magnétique terrestre. Il est important qu’il revienne frayer dans les cours d’eau où il est né, puisqu’il est génétiquement adapté à leurs particularités.

Retour à la case départ

Après être parvenues à remonter les rivières, les femelles creusent des fosses pouvant atteindre plusieurs mètres de longueur dans un banc de gravier à l’aide de leur nageoire caudale. Elles débarrassent le gravier des algues et de la boue qui le recouvrent et préparent une frayère où elles pourront pondre leurs œufs. Le frai doit baigner dans de l’eau bien oxygénée sans toutefois être emporté par le courant. Les mâles choisissent une femelle et sa frayère pour y répandre leur laitance. Seul le mâle le plus rapide pourra transmettre son patrimoine génétique. Les interventions humaines pour faciliter la migration peuvent avoir un impact négatif, car elles peuvent favoriser des jeunes mâles qui ne comptent pas parmi les individus les plus forts, et transmettent un patrimoine génétique inapproprié.

Réintroduction

Des tentatives de réintroduire le saumon dans le Rhin existent depuis des décennies, et commencent à porter leurs fruits. La qualité de l’eau s’est améliorée et le fleuve a bénéficié de mesures de revitalisation en Suisse, mais aussi sur le Rhin supérieur en Allemagne. Il réside cependant encore trop d’obstacles, malgré l’installation de trop peu nombreuses passes à poissons, parfois inefficaces. Les poissons doivent aussi disposer d’aides pour dévaler car ils n’empruntent pas les passes de remontée. Ils suivent à la descente le courant principal, qui mène toujours à la turbine. Les passes pour dévaler sont plus compliquées à installer.

Depuis 2018, les écluses de Haringvliet, porte de la mer vers le Rhin, sont ouvertes pour permettre aux poissons d’accéder à des corridors migratoires par un autre bras du fleuve.

Sur le cours du Rhin supérieur, il faut encore construire des passes à poissons au niveau des trois usines hydroélectriques de Rhinau, Marckolsheim et Vogelgrün. D’ici à 2027, ces obstacles devraient devenir franchissables. Les mesures semblent efficaces puisqu’on a déjà observé les premiers saumons revenir dans la Dreisam à Fribourg-en-Brisgau, et dans l’Ill française en aval du barrage de Rhinau.

Le programme «Saumon 2040» de la Commission internationale pour la protection du Rhin (CIPR) a pour objectif de promouvoir le retour du saumon et d’autres espèces en Europe.

Pour réintroduire le saumon, des alevins sont relâchés depuis plusieurs années dans les affluents du Rhin. En Suisse, cette pratique a lieu dans les ruisseaux et les rivières des cantons de Bâle-Ville, Bâle-Campagne et Argovie.

À Bâle, puis jusqu’où?

Le périmètre de réintroduction doit cependant dépasser la ville de Bâle. On trouvait autrefois des saumons dans l’Aar jusqu’en amont du lac de Brienz, dans la Thur, la Reuss et la Limmat. Le poisson parvenait à remonter jusque dans les Préalpes, ce qui doit être un objectif à terme.

La protection des zones de frai et la mise en valeur de plusieurs cours d’eau du Plateau suisse, avec en priorité les affluents de la Thur, de l’Aar et de la Reuss, font partie des actions réalisées par des associations de protection de la nature. La promotion de macroinvertébrés benthiques, organismes qui constituent la base de l’écosystème d’une rivière, peut encore aider le saumon à revenir. Il faut continuer à mettre en place des conditions-cadres pour que des projets de renaturation ou des installations qui offrent une meilleure accessibilité soient développés. Mais plusieurs objectifs ont déjà été atteints et le retour constant de cette espèce emblématique en Suisse pourrait bientôt devenir réalité.

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