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LE  RISOUX, LA FORÊT MYTHIQUE

LE  RISOUX, LA FORÊT MYTHIQUE
La forêt, son rôle, son importance, sa valeur, n’ont jamais été autant d’actualité qu’aujourd’hui où l’on parle tant de climat, de biodiversité, de durabilité et de qualité de vie.

Texte de Bernard Reymond

Ernst Zürcher, ingénieur forestier, docteur en sciences naturelles, professeur émérite et chercheur, a écrit ces dernières années des œuvres remarquables, en particulier Les arbres entre visible et invisible, un vrai plaidoyer pour la forêt qui propose un éclairage et une approche nouvelle de ce monde si complexe et merveilleux, encore plein de mystères et de questions non résolues. Les naturalistes, chasseurs, chasseurs d’images, promeneurs, mycologues, cueilleurs, promeneurs et contemplatifs sont tous concernés par la conservation des espaces forestiers.

En ce sens, nous ne pouvons que rendre hommage à nos sages élus d’avoir édicté des règles strictes de protection, très avant-gardistes au niveau européen, dans la Constitution fédérale de 1874, avec le fameux article 24. Ainsi, la Confédération a le devoir de haute surveillance sur la police des forêts, base de la loi de 1876 et remplacée par celle de 1902.

Il faut aussi reconnaître le travail et les résultats des responsables et gestionnaires forestiers, ingénieurs et gardes compétents, pleins d’expérience et de bon sens. Sans leurs interventions, on ne parlerait peut-être pas des fameux épicéas de résonance qui sont une des particularités et fiertés du Risoux. Ces arbres exceptionnels sont recherchés par les luthiers qui viennent parfois de loin pour les sélectionner et les réserver.

Ce que dit l’histoire

Les Bernois, maîtres du Pays de Vaud de 1536 à 1798, ont encore mené une politique sage et remarquable pour l’époque, notamment en prononçant des mises à ban et en réglementant sévèrement le pacage en forêt. Ils ont décidé que le haut du Risoux était désormais, pour des raisons militaires, une forêt d’état. Par la suite, l’État de Vaud est devenu propriétaire de la vaste forêt cantonale qui fait frontière avec la France, dans la partie ouest. De longs conflits juridiques ont eu lieu et ce n’est qu’en 1909 que les communes de la Vallée ont pu récupérer des surfaces importantes.

Résultat de la bonne gestion des Bernois, la forêt a bien prospéré côté suisse, ce qui n’était pas le cas du côté Franche-Comté. Ainsi, des équipes de bûcherons clandestins et nocturnes venaient piller les beaux arbres au-delà du mur-frontière. Les autorités ont créé un petit corps de gardes forestiers armés pour combattre ce trafic. La petite histoire nous a laissé quelques récits d’affrontements violents, dignes du Far-West. A cette époque, de tels conflits étaient réglés par la force et les mousquets. A noter que pour faire la différence avec la France, à la Vallée, c’est le Risoud, avec un d. 

Un petit Canada

Ce vaste massif est partagé par une frontière entre la Confédération et la France sur environ 25 km. La partie française est beaucoup plus vaste ; toutefois, la surface sur territoire vaudois correspond déjà à quelque 5750 ha. Un ancien mur, qui suit plus ou moins la ligne de crête, avec des bornes qui sont parfois de véritables objets historiques, où l’on retrouve notamment gravés l’ours bernois et la fleur de lys, délimite les deux pays. La largeur moyenne du massif correspond à environ 4 km, dans la partie la plus importante. Le point le plus élevé culmine à 1419 m au lieu-dit « Le Gros Crêt ».

Ce qui caractérise ce massif, ce sont à la fois ses vastes étendues et son caractère sauvage, en particulier dans le secteur ouest. Un réseau important de routes et chemins, réalisés en bonne partie à partir des années 1920, qui se recroisent souvent à cause d’un relief tourmenté, rend dans certaines conditions, même pour les initiés, l’orientation difficile. Le Grand Risoux a la réputation d’une région où l’on se perd facilement. Certaines personnes ont reconnu renoncer à des balades, suite à de mauvaises expériences. 

Cabanes et refuges forestiers

Autre caractéristique : une cinquantaine de cabanes et refuges forestiers ont été édifiés au cours du temps. Ils portent un nom et c’est bien pratique : Hôtel d’Italie, Gare du Nord, Rendez-vous des-Sages, La Racine, Vue-du-Mont Blanc, Kennedy, La Marocaine, La Christine, La Belle Etoile, etc.

Ces constructions étaient d’abord destinées aux bûcherons et aux débardeurs qui travaillaient dur et vivaient de longues périodes en forêt. C’était trop compliqué et une perte de temps pour rentrer à la maison comme on le fait aujourd’hui. Dans certaines, on trouve encore l’écurie destinée aux chevaux et le petit dortoir sous le toit.

Aujourd’hui, ces abris rendent toujours service aux professionnels et aux nombreux promeneurs. La règle veut qu’ils soient ouverts à quiconque et disposent d’une réserve de bois. La plupart sont gardés dans un état de conservation et de propreté remarquables. Les « Combiers », habitants de la Vallée, y sont très attachés. La tradition veut qu’un livre soit disponible et chacune, chacun peut s’y manifester avec son message et ses états d’âme. Certains textes laissés après un repas ou une soirée bien arrosée ne sont pas tristes…

Les chasseurs, bien entendu, les ont toujours utilisés. Pendant longtemps, les groupes ont pratiqué presque exclusivement la chasse au courant pour le chevreuil et le lièvre. Parfois, les braves brunos mettaient du temps pour rentrer et alors on les attendait à la cabane dans la plus parfaite convivialité. Après l’effort, le réconfort, dit-on et ces refuges ont rendu beaucoup de services. Par la suite, les sangliers, absents très longtemps, ont colonisé le Risoux et ont fait l’objet de traques, surtout l’hiver. Après ces marches pénibles dans la neige et ces longues attentes au poste, quel bonheur de pouvoir rejoindre un petit havre de paix, allumer le fourneau, se sécher, déguster le casse-croûte après avoir fait sauter le bouchon ! 

 

Des affûts inoubliables

Le service exigeait, à l’époque, beaucoup de patience et d’opiniâtreté pour accomplir les missions de police. Il y a eu un temps où la chasse dans les départements du Doubs et du Jura n’était pas soumise, en particulier pour le chevreuil, à un plan de tir avec bracelets et formalités lors de la prise de possession. Dans les années 1970-1980, il y avait une très forte pression sur le gibier, car tout était surtout concentré sur les premiers dimanches de septembre. Les choses ont bien changé depuis…

Sur le versant suisse, les populations de chevreuils étaient relativement abondantes et la tentation était très grande pour certains de nos voisins de franchir le mur. La stratégie la plus pratiquée était d’envoyer des complices lâcher les chiens courants sur notre territoire. Ils ont parfois été interpellés par les gardes. 

La grande faune

Après la Deuxième guerre mondiale, pendant laquelle les activités cynégétiques ont été très réduites dans la zone Jura, encore plus du côté français, les populations de chevreuils ont fortement augmenté. A la suite de trop gros tableaux, les chasseurs ont demandé des restrictions pour préserver le capital avec les premières marques de contrôle en 1951. Ces mesures ont atteint leur but et pendant des décennies, on a chassé le Risoux d’une manière raisonnable, avec des groupes limités à six porteurs de fusil et durant une période courte. Hélas, aujourd’hui, pour différentes raisons, l’espèce a fortement régressé.

Le chamois est apparu en petit nombre dans la côte rocheuse dominant le village français de Chapelle-des-Bois, pratiquement sur la frontière. Il est également présent dans le versant escarpé dominant la rivière l’Orbe, entre Le Brassus et Bois-d’Amont France.

Un cerf mâle a été signalé par plusieurs observateurs et ses traces photographiées dans la région du chemin « Chez La Tante » en 1969 déjà. Le début d’une réelle colonisation se situe fin des années 1980. Le 25 novembre 1993, dans le cadre d’une chasse spéciale, énorme surprise après le tir d’une biche portant une marque à l’oreille d’origine valaisanne. Depuis une bonne trentaine d’années cette espèce est bien présente et fait l’objet régulièrement de plans de tir.

Les sangliers, absents pendant longtemps de la vallée de Joux, ont bien profité du changement climatique et ont été favorisés par des nourrissages plus ou moins légaux, des deux côtés de la frontière.

Les premiers indices de lynx ont été enregistrés déjà à la fin des années 1970.

Enfin, les loups font depuis quelques années la une de l’actualité. Mais cette espèce avait probablement déjà hanté la grande forêt durant l’hiver 1970-1971, avec une prédation conséquente de plus de vingt ongulés prélevés dans la haute neige. Malheureusement, faute de pièges-photos et d’analyses ADN, il n’avait pas été possible de prouver la culpabilité de Canis lupus. Toutefois, les traces de morsures correspondaient bien au prédateur.

Le Risoux a beaucoup changé

Avec un recul de quelque cinquante années, on peut affirmer que ce grand massif a beaucoup évolué. Il était réputé pour l’importance, la rigueur et la durée de l’enneigement. Il fut un temps où l’on mesurait la couche de neige avec des jalons proches des refuges forestiers et on atteignait parfois les 2 m. Désormais, on est tout heureux de pouvoir encore chausser les skis de fond pour une période beaucoup plus courte.

Comme chacun le sait, les conséquences sur la végétation sont bien visibles, notamment le dynamisme des feuillus, particulièrement le hêtre. Dans beaucoup de parcelles, le rajeunissement des fayards est spectaculaire, au détriment de la pessière sur mytilliers qui était la caractéristique du Risoux. Les services forestiers font le maximum pour inverser la tendance, notamment pour restaurer les bons biotopes à grands tétras, mais ce réchauffement climatique rend ces efforts de plus en plus difficiles et aléatoires.

Le pire est arrivé avec deux dernières années de grande sécheresse consécutives. La vision de larges surfaces de conifères secs ou dépérissant fait mal et présage beaucoup de soucis pour le futur. On n’avait jamais vu une telle quantité de résineux irrémédiablement perdus sur les deux versants de cet immense massif. Les mégapopulations d’insectes ravageurs se régalent.

Beaucoup de résineux souffrent ou sont à l’agonie, et les vents de plus en plus tempêtueux provoquent de véritables « mikados » à travers lesquels il devient presque impossible de se mouvoir.       

Héroïsme

Enfin, on ne peut parler du Risoux sans évoquer l’héroïsme, le courage et le dévouement sans limite de celles et ceux qui ont permis de sauver des personnes en détresse, traquées par les nazis. Un réseau, remarquablement organisé de femmes et d’hommes français et suisses, a permis de guider ces réfugiés qui parfois venaient de très loin, de les conduire en Suisse, vers la liberté. Ces passages avaient lieu presque toujours de nuit, dans des conditions particulièrement difficiles. Les passeurs du Risoux étaient jeunes pour la plupart, et savaient que leur capture signifiait la déportation et la mort. Un monument a été érigé à leur mémoire vers la borne 185.

 

 

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