ISLANDE, ENTRE MER ET GLACE
Si la chasse en Islande n’est plus vivrière depuis les années cinquante, elle garde une place importante dans la société de cette immense île du nord de l’Europe. Les oies, canards, renards et surtout lagopèdes font partie des gibiers appréciés par les habitants de ce territoire extraordinaire.
Texte et photos de Vincent Prétôt
En Islande, on chasse l’oie qui y migre en grands vols durant l’été ainsi que divers canards. Les oiseaux marins sont également une source de nourriture importante. Macareux et guillemots donnent de la viande, mais aussi des œufs, qui sont récoltés à grand risque dans les falaises escarpées au bord de l’Atlantique nord. On utilise également d’autres ressources naturelles sur place, comme le duvet d’eider récolté après l’éclosion des œufs et l’envol des résidents.
Là également, la chasse revêt une importance toute particulière au travers du tir des renards menaçant les colonies et les bêtes de rente. Dans ce pays longtemps pauvre, la perte d’un agneau entre les crocs d’un renard présageait un hiver pénible, à tel point que le chasseur de renard était autant respecté et considéré que le prêtre du village. De nos jours, la chasse professionnelle du canidé est toujours d’actualité et des chasseurs sont payés par l’état islandais pour effectuer des tirs.
Dans les espèces chassables, on trouve encore le renne et le vison, tous deux importés sur l’île, le premier venant du Finnmark norvégien pour être élevé comme chez les Saamis scandinaves et le second pour la fourrure. Les deux expériences ont été des échecs et ces deux espèces sont retournées à l’état sauvage.
Du côté des oiseaux, la chasse du lagopède alpin fait partie de la culture islandaise.
La pêche est aussi d’une importance capitale dans l’apport nourricier du pays. Elle est principalement pratiquée par les hommes durant la période hivernale alors que les femmes soignent le bétail.
Au niveau des animaux de rente, on rencontre des espèces rustiques pouvant survivre aux rudes conditions des longs hivers islandais : moutons, chevaux et vaches typiquement islandais sont arrivés avec les Vikings lors de la colonisation au 9e siècle. Ils n’ont que très peu changé grâce à l’isolement géographique de l’île.
Variable par excellence
Le lagopède est donc une espèce endémique de l’Islande, et il a été chassé depuis l’arrivée des premiers hommes au 9e siècle. L’oiseau au plumage variant du gris rocher au blanc neige entre l’été et l’hiver est présent sur tout l’ensemble du territoire islandais. Le plumage blanc d’hiver porte quelques plumes rectrices noires au niveau de la queue, cachées au repos. Le mâle arbore une magnifique caroncule rouge sang au-dessus de son œil d’un noir profond. Le bec reste noir quelle que soit la saison. Les pattes, ressemblant à celles d’un lièvre, sont couvertes de plumes, ce qui lui vaut son nom de lago (lièvre) et ped (pied).
Il vit en petite compagnie de plusieurs individus, volant peu, se nourrissant de graines et de fruits sauvages qu’il trouve sur son territoire. Durant l’hiver, il creuse de petites cuvettes dans lesquelles il se love, profitant du soleil pour se réchauffer. Plus le nombre de fientes, déposées dans le creux comme des mégots dans un cendrier sont nombreux, plus l’oiseau y a passé de temps.
En fonction des conditions climatiques, les oiseaux se tiennent à une altitude plus ou moins élevée à flanc de montagne. Ils se protègent du vent et apprécient les rayons de soleil. Si le territoire est couvert de neige, ils se tiennent dans les changements de terrain : creux, vallée, couloirs, tas de pierres, arêtes, buissons. Si la neige ne recouvre que des zones partielles, ils ont tendance à s’en approcher pour rester camouflés.
Tradition et commerce
Le lagopède a été abondamment chassé de manière commerciale jusqu’au début du 21e siècle. Les Anglais, très friands de la chair de ces oiseaux, ont poussé les Islandais à en prélever beaucoup pour gagner de l’argent. La chasse traditionnelle se fait à l’approche. À l’aide de jumelles, on trouve des groupes d’oiseaux posés dans leurs aires de villégiature et on les approche, fusil à la main. Une fois que l’on se trouve à bonne distance, on tire les oiseaux posés puis en vol. Alors que la munition coûtait cher, il était commun de tuer plusieurs oiseaux avec un seul coup de grenaille, par souci d’économie. La carabine de petit calibre, type 22 long rifle, est également utilisée pour faire des tirs précis. Les lagopèdes se fient beaucoup à leur camouflage et sont d’un naturel peu fuyant, ce qui permet de tuer plusieurs individus les uns après les autres même avec une simple carabine à verrou.
Les prélèvements élevés de la chasse commerciale ont cependant amené les autorités à interdire la pratique depuis 2003, et des comptages ont été mis en place afin de définir une politique nationale. Depuis, la chasse du lagopède est à nouveau possible, pour autant que les comptages le permettent.
Suivi strict
L’Agence environnementale islandaise (Umhverfisstofnun) est en charge d’évaluer la possibilité de chasse, dont la période peut durer 9 à 22 jours, et uniquement des demi-journées. Pour limiter la pression de chasse, la zone autour de Reykjavik, plus grande ville du pays qui regroupe deux tiers de la population de l’île, est fermée à la chasse aux lagopèdes.
Fait intéressant, la population des gallinacés n’a pas plus augmenté autour de la capitale que dans les autres zones ces vingt dernières années. La définition d’une politique globale de chasse pour un pays grand comme deux fois et demi la Suisse est complexe tant les conditions de vie des animaux peuvent changer d’un bout à l’autre de l’île.
Les chasseurs pratiquent toujours l’approche, mais les chiens d’arrêt sont aussi utilisés. L’Islande ne possédant pas de race de chien de chasse endémique, il y a de grande chance de croiser des braques allemands, des setters anglais ou des épagneuls bretons, très appréciés sur place.
Le terrain est difficile, la neige est cassante et tranchante. Il est donc nécessaire de protéger les pattes, voire le corps des chiens, pour éviter qu’ils ne se blessent lors des recherches. Le froid est un autre obstacle, mais le plus grand risque pour les chasseurs et les chiens, c’est de se perdre dans l’immensité vierge du pays. Chaque année, des chasseurs se font prendre par le froid, le brouillard ou la neige. Ils se retrouvent sans GPS, perdus, tournant en rond à flanc de montagne avec des conditions météorologiques qui peuvent changer d’une minute à l’autre.
Le tir d’un lagopède au sol est donc possible et l’éthique islandaise ne le condamne pas. Dans ce cas, la difficulté réside dans la recherche et l’appréhension du terrain. Pour celui qui veut chasser selon nos méthode et éthique continentales, en vol, le tir devient plus compliqué. En quelques coups d’ailes vigoureux, le lagopède s’élève et prend rapidement de la vitesse. Si le paysage le permet, il plonge dans la pente, gagnant encore plus de vitesse, fusant comme une balle en utilisant le terrain pour fuir. Il faut alors bien estimer le coup de fusil et tiré devant, bien devant, et dessous, si l’on souhaite décrocher l’animal tant recherché.
Oiseau de fête
Le lagopède est un oiseau traditionnellement mangé pour les fêtes de Noël. Comme pour les bécasses sur le continent européen, les Islandais pendaient les oiseaux par le bec, et considéraient que la viande était bonne quand la tête se séparait du corps ou que les viscères tombaient au sol. Cette pratique d’un autre temps, avant l’invention de méthodes de conservation efficaces comme la réfrigération ou la congélation, est risquée d’un point de vue sanitaire.
Après le tir, le lagopède est conservé entier pendant un jour au moins, laissant le temps à la rigidité cadavérique de s’atténuer. Ensuite on faisande plus ou moins en fonction des goûts de chacun. On vide et on plume alors l’animal. On peut le cuisiner entier, le démonter pour une cuisson lente dans un jus ou en extraire les filets pour simplement les rôtir à la casserole avant de les servir. La chair est sombre, très riche en goût et très tendre.
Menaces et avenir
Ce qui menace le plus la population de lagopèdes alpins, que ce soit en Islande ou sur le continent européen, est la diminution de son biotope et les conditions météorologiques. Avec le changement climatique, les surfaces enneigées se réduisent, la limite des forêts s’élève, ce qui diminue de facto l’air de répartition de l’oiseau. De plus, les épisodes climatiques extrêmes, plus particulièrement les fortes pluies durant la période des naissances, font peser une menace non négligeable sur les couvées. Le suivi strict de l’évolution des populations mené par l’Agence environnementale, complété d’une chasse adaptative, restent garants d’une pratique durable qui tient compte de tous les facteurs environnementaux.