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EN  BRETAGNE, L’ADRÉNALINE  DU  BAR 
AU  LEURRE  DE  SURFACE

EN  BRETAGNE, L’ADRÉNALINE  DU  BAR 
AU  LEURRE  DE  SURFACE
Récit d’une session prolifique sur la presqu’île du Crozon, un paradis de la pêche en mer où la bestialité des poissons n’a d’égale que la rudesse des éléments.

Texte et photos de Sami Zaïbi

C’est un décor de fin du monde, une succession de falaises écorchées qui livrent une bataille sans fin face aux assauts de la puissante houle, dans un bouillon d’écume, d’embruns et de mousse. Nous sommes sur la presqu’île de Crozon, à l’extrême pointe du Finistère, au bout du bout de la Bretagne, aux confins de l’Europe.

C’est là le terrain de jeu du guide de pêche Gaël Rognant, enfant de la presqu’île revenu aux sources après quinze ans de service au sein de l’armée française en tant que mécanicien. Depuis son bateau semi-rigide qui se joue des vagues avec douceur, le flegmatique marin aux bras tatoués scrute ce littoral accidenté qu’il connaît par cœur. Chaque trou poissonneux, chaque remous propice, chaque contre-courant prometteur est imprimé dans sa mémoire, pas besoin de GPS.

Le calme avant la tempête

A chaque spot, on effectue une dérive qui nous place discrètement en position idéale. Puis nous lançons des leurres de surface de type stickbait. Particulièrement aérodynamiques, ces leurres se propulsent loin sans effort. Pour les animer, il s’agit de donner des petits coups de scion qui impriment une nage que l’on appelle « walking the dog », un mouvement erratique qui fait partir le leurre successivement à gauche et à droite, surtout à la surface de l’eau mais parfois aussi juste au-dessous de la pellicule, imitant à merveille un petit poisson désorienté.

Mais en ce début de matinée ensoleillé, pas de touche, ni sur les hauts plateaux, ni aux abords des petites îles, ni à l’intérieur des criques. Un vent de terre tenace souffle continuellement, on se dit que c’est peut-être à cause de cela. On en profite pour parfaire notre technique de ramener, et pour apprécier le paysage sorti d’une autre planète : arches blanches enjambant la mer, sombres falaises volcaniques coiffées de buissons verts et violets, et ce puissant océan dont les eaux vertes, fertiles et mystérieuses, semblent respirer profondément à chaque onde qui soulève le cœur avant de venir s’écraser contre la caillasse, dans un vacarme uniquement entrecoupé par les cris stridents des goélands et fous de bassan qui survolent l’air moite chargé d’odeurs d’iode et d’algue.

Trêve de contemplation, Gaël Rognant a monté des leurres souples pour aller gratter le fond, et ça marche. Il décolle ainsi deux petits bars qui nous redonnent la foi. De téméraires orphies et maquereaux se laissent aussi tenter par nos leurres, qui font pourtant presque leur taille. Mais ce n’est pas ce menu fretin que nous sommes venus chercher.

Bars en folie

Puis d’un coup, le vent de terre tombe. Dans une petite baie brassée d’écume, un phoque sort brièvement sa tête moustachue, l’air curieux, puis repart chasser sous l’eau. « S’il y a du phoque, il y a du fish », lance notre guide. Deux minutes plus tard, splash !, une première attaque de bar sur mon leurre. C’est un petit poisson, mais sa force décuplée par celle du ressac donne des sensations indescriptibles sur la canne haut de gamme mise à disposition par notre guide. Le temps d’une photo et il repart à l’eau en pleine forme.

A partir de là, les prises s’enchaînent. On se croirait dans un jeu vidéo. Nos leurres n’ont pas le temps de toucher l’eau qu’ils se font brutalement attaquer, parfois simultanément. Une attaque est particulièrement spectaculaire : l’eau se met à bouillonner dans le sillage de mon leurre, un grand mouvement soulève une gerbe d’eau, un deuxième, un troisième et boum ! La canne est pliée et le moulinet chante. Cette fois, c’est un gros calibre. Les violents coups de tête s’enchaînent sans que je puisse rien faire, si ce n’est m’armer de patience et profiter des sensations. Après quelques minutes et plusieurs rushes puissants, la bête laisse enfin apercevoir sa robe argentée qui scintille à travers l’eau trouble. Un coup d’épuisette et le poisson est au sec ! Un spécimen de 68 centimètres pour 4 à 5 kilos… difficile de faire mieux.

La frénésie dure encore une demi-heure, avec une bonne douzaine de poissons ramenés au bateau. Puis c’est l’étal (le pic de marée haute), la mer s’aplatit et le calme revient. C’est l’heure de prendre le casse-croute dans une vaste baie. A la reprise, les poissons semblent aussi repus que nous. Nous n’aurons plus de touche de bar de la journée.

 

Direction le petit large

Nous décidons alors de prendre le large et de changer de technique. Nous pêchons au jig sur des tombants s’échelonnant de 10 à 35 mètres de profondeur. Il s’agit simplement de dandiner le petit leurre en métal de 20 grammes juste au-dessus du fond. Avec cette technique, de nombreuses espèces sont susceptibles de mordre : dorade grise, pagre, vieille, lieu, maquereau, chinchard et autres.

Les maquereaux, qui vivent en pleine eau, se lancent sur nos jigs comme des affamés, parfois même à deux sur le même leurre. Bien que petits, ces poissons à la splendide robe striée offrent de beaux combats, effectuant de grands cercles, vibrant à la façon des thonidés. Ils sont si nombreux et si voraces que l’enjeu sera de faire parvenir les jigs jusqu’au fond sans qu’ils les attaquent. Quand cela se produit, d’autres espèces goûtent à nos jigs : beaucoup de chinchards, quelques vieilles, des lieus, et même une microscopique lotte, une prise rarissime. Bien que pas aussi prenante que la pêche au bar aux leurres de surface, cette technique demeure très divertissante, surtout par le fait qu’on ne sait pas quelle espèce va mordre.

Puis, au moment où dandinait nos petits leurres depuis quelques heures, dans une routine tranquille, d’un coup ma ligne se bloque. Je pense avoir accroché le fond, quand subitement le moulinet se met à se vider à une vitesse impressionnante, comme si un sous-marin avait embarqué le fil. Après quelques secondes, clac ! la ligne a cassé. La rupture s’est faite au niveau du nœud de raccord entre la tresse et le fluorocarbone. « C’était un gros lieu jaune », diagnostique Gaël Rognant, précisant que ces poissons peuvent atteindre jusqu’à près de 10 kilos dans le coin. On finira la session sur ce raté qui donnera une raison supplémentaire de revenir dans ce paradis de la pêche.

 

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