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DES BECASSES DANS LE HAUT

DES BECASSES DANS LE HAUT
Neuchâtel, petit canton du Far West helvétique, abrite dans ses forêts des crêtes du Jura de superbes points de pose pour les bécasses. Les bois humides de hêtres et de résineux sont appréciés par ces petits oiseaux qui y font une halte lors de leur migration en direction des terres plus chaudes.

Texte et photos de Vincent Prétôt

 

J’avais cette espèce en tête lors du choix de mon premier chien de chasse. Ayant grandi et vivant dans « le haut » du canton de Neuchâtel, j’ai la possibilité de chasser plusieurs gibiers. Le chevreuil est bien implanté depuis plusieurs années, même si l’impact du lynx commence à bien se faire ressentir. Idem pour le chamois, mais il reste quand même un faible plan de chasse dont il faut profiter. Le sanglier est présent également, en surnombre étouffant si l’on écoute certaines personnes dont la bourse a remplacé le bon sens « paysan ». Pour le petit gibier, il reste deux jours pour chasser le lièvre, une chasse sous perfusion que nous défendons bec et ongles pour la garder en vie. 

Chien polyvalent

Au niveau de la plume, on y chasse encore le canard sur les cours d’eau ou sur le lac de Neuchâtel, sans pour autant faire de grands tableaux. Quelques pigeons, des corvidés complètent une liste non négligeable de gibier. Restent trois espèces : le goupil, le chat haret mais chut, c’est tabou, et la bécasse. Face à une telle diversité, je me suis logiquement dirigé vers une espèce de chien qui permet de chasser un maximum d’animaux, ce qui m’amena rapidement à considérer les races allemandes. Je sais, j’aurais dû prendre un chien courant, et Dieu sait combien j’aurais voulu un beau Bruno ou un Schwytzois aux oreilles longues et douces, à la voix rauque qui me fait frissonner. Mais le nombre de voitures sur les routes et le risque de voir mon chien tué par celles-ci ne m’intéresse pas. Les chiens courants sont malades du 21e siècle malheureusement. C’est ainsi qu’à la fin du mois de mai je devenais l’heureux compagnon d’une chienne Petit Epagneul de Munster (Kleiner Munsterlander), au caractère bien trempé mais à la douceur inégalée. 

S’entraîner et chasser

Plusieurs mois d’entraînement et surtout de vie commune passés à s’apprivoiser l’un l’autre ont fait passer le temps à une vitesse folle, et rapidement les feuilles des arbres ont commencé à tomber. Les matins froids, les journées plus courtes, le soleil rasant ont enfin annoncé l’arrivée de la pleine saison de chasse. 

Je commence alors à jongler entre les colliers pour chien. Les samedis sont passés en famille à la poursuite des chevreuils et des lièvres, et c’est avec un grelot autour du cou que ma petite chienne fait ses armes sur le gibier à poil. Elle se déclare bien, donne ses premiers coups de gueule et montre beaucoup de passion au travail. 

Les fins de journées de travail sont quant à elles passées dans les bois, avec une sonnaille autour du cou, à la recherche de nos premières bécasses. 

Ma jeune chienne démontre alors une fois de plus une passion dévorante pour la recherche. Elle court en avant, en arrière, à gauche, à droite, et fait de beaux lacets même si elle tend à partir un peu loin. Je la laisse faire, car le but est surtout de lui mettre des oiseaux dans le nez. 

Apprendre

FRAC ! Dans un fracas d’ailes, la première bécasse de la saison s’envole à quelques mètres de mes pieds. Je suis tellement surpris que je n’épaule même pas, et voit l’oiseau s’enfiler rapidement entre deux sapins et prendre la fuite. J’appelle ma chienne, la met sur la place chaude. Elle marque, sent, renifle et bat de la queue. C’est bon signe. 

Au fur et à mesure des sorties, ma chienne a compris que ces oiseaux-là m’intéressaient. Moi de mon côté, j’apprenais à lire mon chien, à comprendre son attitude et la situation. À chaque envol, je tentais d’un coup de fusil parfois hasardeux, mais je tirais aussi et surtout pour démontrer à mon chien que c’est bien cela qu’on cherche !  

Ce lundi, je décide de me rendre au bureau plus tôt que d’habitude, et de prendre une pause plus courte à midi, pour sortir plus tôt le soir. J’arrive à la maison vers 16 h 15, mange rapidement un fruit tout en enfilant mes habits de chasse sous le regard curieux de ma chienne. J’enfile ma veste, jette mon sac sur mon dos, prends mon fusil dans une main et mon chien dans l’autre, et je pars. J’évite les bouchons pendulaires quotidiens et rapidement nous sommes dans la forêt. La végétation dans ce bois est dense. Le fond est couvert d’herbes hautes et de fougères sous lesquelles se cachent des branches de sapins qui tentent de vous faire des croche-pieds. Je mets ma chienne assise, détache sa laisse, prends sa tête entre mes mains et plonge mon regard dans ces yeux jaunes au grandes pupilles noires et dilatées : « On cherche les oiseaux, Summer, les oiseaux.» 

Rituels

Ces petits mots rituels ne veulent peut-être rien dire pour elle, mais elle comprend en tout cas que c’est le moment de chasser. Elle quête bien, de haut en bas dans la pente de la forêt. Soudain elle donne quelques coups de gueule, part sur plusieurs dizaines de mètres puis revient timbrer vers moi avant de continuer ses lacets devant moi. Peut-être a-t-elle vu un renard ou un chevreuil ? 

Je la suis tant bien que mal tout en évitant de m’étaler de tout mon long dans les herbes. Soudain elle marque, s’agite, montre la présence d’oiseaux. Elle change d’attitude, elle est plus nerveuse, change de direction rapidement, gauche, droite, passe sous un petit sapin, puis un autre. Je dois la suivre, la bécasse n’est pas loin. Soudain, ma chienne lève la tête bien haut, et part en ligne droite. Vite vite ! Je n’arrive pas à la suivre assez vite. FRAC ! FRAC ! Surpris, une fois de plus ! Deux bécasses viennent de quitter la même place, un pairon ! Je suis sous le coup de l’émotion, vise mal et tire. Ma chienne a fait du bon travail, moi moins. Elle n’arrête pas encore mais montre de la passion pour les bécasses et c’est déjà très bien, le reste suivra. Nous continuons notre chemin à travers bois. Ma chienne profite du layon creusé par une roue de tracteur pour trouver de l’eau et se désaltérer. De mon côté j’en profite pour souffler un peu. On continue, dans le sens du vent. 

Comme sur les peintures

On passe dans une zone avec quelques emposieux, des creux coniques de plusieurs mètres de diamètre qui, semblerait-il, avalent tout ce que l’on jette dedans. On les évite en zigzaguant au travers. Ma chienne bat à nouveau du fouet, fait des lacets plus courts, accélère, plante le nez au sol et remonte une piste. Je lui colle au train ce coup-là… 50, 100 m, je cours à travers les foyards et les sapins blancs pour ne pas me faire distancer. Le bois forme une légère pointe sur ma gauche. Ma chienne se jette dans cette direction : FRAC ! Le fracas d’ailes me fige, et je vois, dans un mouvement parabolique, la bécasse qui me contourne, ailes ouvertes comme sur les peintures de Walter Arlaud. Le fusil monte et au coup d’épaule le coup part. Ma chienne est électrisée par le coup de feu ! Elle part de plus belle. Nul besoin cette fois-ci, la mordorée a fermé ses ailes et s’est abîmée dans les fougères. Je la saisis dans mes mains et, d’un geste respectueux, redresse les plumes froissées.  

Si un promeneur passait dans cette portion de bois à cet instant, il a dû se demander qui était ce fou qui exultait au milieu d’un bois sans raison apparente. Pourquoi cet homme félicitait son chien abondamment, des tremblements plein la voix en répétant : « On l’a eue Summer, Bravo ! On l’a eue.»

 

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