CHASSER MALGRÉ LE HANDICAP
Victime d’un accident de la route qui l’a rendu paraplégique à 20 ans, Olivier Rosset chasse en Valais malgré son handicap. Portrait d’un homme résilient qui savoure chaque instant qu’il passe dans la nature.
Texte et photos de Vincent Gillioz
C’est à Commeire, petit village de la commune d’Orsières en Valais sur l’axe du Saint-Bernard, qu’Olivier Rosset est installé, perché face aux montagnes valaisannes, françaises et italiennes. « Mes grands-parents et mes parents viennent d’ici » souligne le quinquagénaire qui n’a jamais envisagé vivre ailleurs. « La proximité de l’Italie, et le fait d’être au-dessus d’un grand axe international ont contribué à l’ouverture d’esprit de la région. C’est quelque chose que j’apprécie.»
Sur une des façades de sa maison, quelques massacres de cerfs et de chamois révèlent l’activité préférée de celui qui occupe les lieux. Au salon, la récolte de bois de cerfs du jour – quatre ou cinq – dissipe les derniers doutes quant à sa passion. Olivier Rosset aime la nature et la faune qu’il observe depuis son plus jeune âge. Sa mobilité réduite n’a jamais altéré son besoin d’être dehors. Il connaît les habitudes de tous les animaux de la vallée et peut parler des heures de tout ce qui l’entoure.
Chasser malgré tout
Bien qu’il ne soit pas issu d’une famille de chasseur, il débute sa formation dès ses 18 ans. « Pour moi c’était naturel, je n’ai jamais imaginé ne pas chasser. Ça ne s’explique pas, c’était un besoin, cohérent avec mon amour de la nature.» Il échoue une première fois à l’examen du permis : « J’étais à l’école de recrue, et nous avons reçu le polycopié deux semaines avant l’épreuve. C’était en pleine semaine de survie. Je n’ai pas eu le temps d’étudier, et l’ai raté. Il y a eu 80 % d’échec cette année-là.» S’est ensuivi son accident, qui ne l’a pas découragé à se présenter l’année d’après, et d’obtenir le sésame qui a fait de lui un disciple de saint Hubert.
Depuis trente-quatre années, le Service de la chasse lui accorde de manière exceptionnelle une autorisation de tirer depuis son véhicule, et de se déplacer sur le réseau routier. « J’ai été touché à la quatrième dorsale, ce qui fait que je n’ai pas de tonicité au niveau du torse. Je suis obligé d’avoir des appuis pour tirer, c’est impossible depuis mon fauteuil roulant. Mais ça va quand je suis calé dans le siège de ma jeep. Les quatre roues de mon véhicule sont mes jambes. Nous sommes trois paraplégiques sur le canton à avoir une pareille autorisation.» Quelques photos de ses tableaux démontrent que, grâce à une remarquable connaissance des lieux et des habitudes des animaux, il peut chasser avec efficacité malgré ses contraintes de déplacement.
Vivre dehors
Installateur sanitaire de formation, il a rejoint, au bureau, l’entreprise qui l’avait formé après son accident et un an de rééducation à Genève. « Je connaissais le métier, je me suis occupé des devis et de la facturation. Plusieurs personnes m’ont incité à m’installer à Orsières, ou même une ville en plaine qui aurait été plus adaptée à ma situation. Mais pour moi, il n’a jamais été question de quitter Commeire. Mes grands-parents et parents étaient paysans de montagne ici. Je m’y sens bien et c’est chez moi.»
Olivier Rosset a passé huit ans dans son entreprise de bâtiment, avant de faire le choix d’adapter son train de vie à ses envies. En 2010, il quitte son travail pour pouvoir enfin passer plus de temps à l’extérieur. « J’avais l’impression de ne pas respirer quand j’étais enfermé dans un bureau.» Il profite de ses nouvelles disponibilités pour refaire complètement l’intérieur de sa maison, en l’adaptant à ses besoins spécifiques, avec notamment un petit ascenseur qui lui permet d’accéder à tous les niveaux.
Il s’initie à la sculpture sur bois à l’Université populaire. Un maître de la vallée d’Aoste, où cet art est très implanté, donne des cours qu’il suit régulièrement pendant deux ans. « J’ai aménagé un atelier au sous-sol de ma maison et j’y consacre beaucoup de temps, surtout l’hiver. J’ai besoin de voir le résultat de ce que j’ai fait de ma journée. Je suis un manuel dans l’âme, c’est pour ça que le bureau ne m’a pas convenu.»
Ses œuvres racontent des histoires de paysannerie et de chasse. Elles traduisent ses passions, son amour de la montagne et des animaux. « Ce n’est pas une activité lucrative, même si j’ai réalisé quelques commandes. Je fais ça pour mon plaisir.» Inspiré par plusieurs peintres de chasse, il nous montre avec fierté quelques-unes de ses réalisations, en commentant le bois, la technique, et le traitement à la cire d’abeille qui apporte une couleur si particulière à ses bas-reliefs.
Démarche complète
Pour lui, la chasse ne saurait être abordée uniquement à travers le prélèvement. « Je ne comprends pas ceux qui vendent les bêtes qu’ils tirent. Chasser est un acte complet qui va de l’observation de la nature toute l’année au prélèvement, puis au dépeçage et au bouchoyage. La préparation des massacres, et surtout la cuisine du gibier font finalement partie de l’acte de chasse.» Il aime particulièrement recevoir des amis, confectionner et partager des repas à base du gibier qu’il a chassé.
S’il prélève occasionnellement des cerfs et des chamois, « le chevreuil a presque disparu de la région à cause de la prédation », la chasse favorite d’Olivier Rosset est celle du lièvre. Il fait d’ailleurs l’éloge de son chien particulièrement performant sur le bossu. « Aujourd’hui, c’est vraiment ma chasse préférée, et nous avons la chance d’en avoir pas mal dans la vallée. Le lièvre ne souffre pas de la présence du loup. Et de compléter : Quand on aime le lièvre, on va au renard. Je fais donc aussi pas mal d’affûts pour réguler le goupil.»
Ces propos confirment la cohérence de son approche de la nature, où les équilibres doivent être maintenus pour préserver une faune en bonne santé.