LES NYMPHES DES MONTAGNES
Aux premiers jours de l’été je suis invitée à accompagner le bétail jusqu’à l’alpage. Dès le départ, les bêtes donnent le signal du grand charivari. Les moutons pressés de retrouver l’herbe grasse partent les premiers, puis les chèvres ferment la marche en prenant tout leur temps, ne résistant pas aux tendres feuilles des noisetiers.
Texte et photos d’Isabelle Carruzzo
Guidé par une trentaine de personnes, c’est un joyeux cortège qui se dirige vers le pâturage pour le repas devant la cabane du berger. De ce poste d’observation, l’oeil averti repère dans la prairie les nuances de vert. C’est le mycélium qui donne à l’herbe un ton sombre et une certaine hauteur, il trace des lignes ou des cercles que l’on nomme « ronds de sorcières », et dénonce ainsi de loin la présence des Marasmius oreades. Appellations diverses Marasme des Oréades, marasme des montagnes, faux mousseron, petit mousseron des prés, champignon des fées, coriolette, bouton de guêtre, chaque région a son appellation pour ce petit champignon, celle que je préfère est nymphe des montagnes. Il pousse du printemps à l’automne dans les prés, bords de routes, lisières de forêts, en troupe, on le rencontre souvent en grande quantité après les orages. Sa taille modeste fait que certains mycophages ne prennent pas la peine de se baisser pour le ramasser, car il faut beaucoup de patience pour récolter de quoi remplir un panier, grave erreur, ils se privent d’un bon repas. Le chapeau de Marasmius oreades de 2 à 5 centimètres est campanulé dans la jeunesse puis étalé, de couleur café au lait avec un mamelon central plus foncé qui le fait ressembler à un bouton de guêtre, il devient plus clair si le temps est très sec, la marge rabattue laisse apparaître des stries par l’humidité. Les lames sont libres, donc pas rattachées au pied, épaisses, espacées, ventrues dans la vétusté, blanches puis crème ocre, souvent inter veinées. On peut observer parfois la sporée blanche qui se dépose d’un chapeau sur l’autre tant ils poussent serrés les uns contre les autres. Le pied cylindrique, mince, coriace et concolore au chapeau devient légèrement roussâtre avec l’âge, très finement velouté dans la jeunesse, sous la loupe, presque nu par la suite, tomenteux et blanc à la base. En saisissant le stipe entre deux doigts, il est possible de le faire tourner plusieurs fois sans le briser. La chair blanche, parfumée, est fine sauf dans le disque, consistante dans le chapeau, dure dans le pied avec une saveur douce de noisette. Attention aux confusions Le Clitocybe dealbata, toxique, blanc, lui ressemble mais avec un peu d’attention, la couleur du carpophore, les lames espacées et libres des marasmes, la particularité du pied de pouvoir subir plusieurs torsions sans se rompre devraient nous permettre d’éviter les confusions. C’est un champignon assez répandu qui fructifie plusieurs fois dans l’année, un comestible de choix qui développe un arôme puissant à la dessiccation. Puis vient le moment de la dégustation, j’ôte le pied trop dur en cuisine. Pour mettre en valeur la qualité des « nymphes des montagnes », je fais le choix de la simplicité, une omelette aux mousserons frais est un plat royal. Je l’apprête aussi avec des pâtes fraîches maison, des viandes et même des filets de truites. Lors de vos prochaines cueillettes jusqu’à la fin de l’automne, ne négligez pas ce brin de saveur.