SUR LES SENTIERS DE LA MYCOLOGIE
L’arrivée du printemps rime avec celle des champignons. Mycologues, mycophages et mycophiles peuvent enfin assouvir leur quête et partir
à la rencontre de ce qui est parfois considéré comme le quatrième règne.
Texte et photos d’Isabelle Caruzzo
En balade dans les bois, je croise un homme qui remplit son sac en jute de champignons comestibles afin d’avoir le plaisir de les déguster, je pense qu’il est plutôt mycophage. Parmi les herbes folles d’une prairie maigre, une jeune fille admire la beauté d’une troupe d’hygrocybes, leurs couleurs et leurs formes, elle les photographie, je dirai qu’elle est mycophile. Poursuivant mon chemin, je rencontre mon voisin qui met dans son panier des carpophores différents triés dans des boîtes pour les étudier, les répertorier, cette personne ne rentrera jamais bredouille, elle aura toujours quelques spécimens à mettre sous la loupe, c’est un mycologue. Nous restons à deviser sur notre passion commune et le temps est passé trop vite car le monde des champignons est fascinant.
Réseau insoupçonné
La manière de se reproduire du champignon se rapproche de celle des mousses, fougères, lichens. Son appareil végétatif est constitué d’un lacis de filaments blancs ou noirs très dense, souvent souterrain mais parfois aussi à l’intérieur du bois ou sur d’autres substrats comme l’humus, le fumier, un cadavre, la cendre, c’est le mycélium. Il est composé d’une chaîne d’articles appelés «hyphe», on peut le comparer à une toile d’araignée qui s’allonge et se ramifie sous terre, se développe prodigieusement, certains peuvent atteindre une taille et un poids exceptionnel et vivre très longtemps. Un mètre cube de terre de nos forêts peut abriter jusqu’à 10 000 km de ces minuscules fils. On les remarque en soulevant la mousse, les feuilles mortes et la litière d’aiguilles, au pied de certains champignons. Ces réseaux mycéliens peuvent se rompre facilement et paraissent fragiles mais détrompez- vous, ils s’infiltrent parfois entre les pierres d’une cave jusqu’à une certaine profondeur comme les cordons destructeurs de la mérule pleureuse. J’ai observé celui du Clitocybe amoenolens qui se déplace de 30 à 50 centimètres par an. Il existe des mycéliums dits annulaires, c’est-à-dire que quand les spores ont germé, le mycélium se développe en cercle et, le milieu épuisé, il colonise tous les alentours et forme ainsi ce que l’on appelle des ronds de sorcière.
Asexué
Chez les carpophores (le porteur de fruits, c’est-à-dire de spores), il n’y a pas de sexe bien séparé. La semence (appelée spores) qui joue un rôle principal dans la dissémination des champignons, presque invisible à l’œil nu, se trouve dans la partie qui porte les organes reproducteurs : l’hyménium. Celui-ci peut être «interne», c’est-à-dire à l’intérieur d’un champignon en forme de massue ou de boule (vesse-de-loup), ou «externe, non protégé» par un chapeau, comme une éponge, des ramifications, une coupe (Sarcoscypha coccina) ou encore «externe protégé» par un chapeau avec des plis, lames, aiguillons (Sarcodon imbricatus).
Lorsque les spores sont en masse suffisante, on peut observer la sporée. De couleur différente suivant l’espèce, elle permet de déterminer et de séparer macroscopiquement les grands groupes de champignons.
La germination des spores est dépendante des conditions favorables régnant dans le biotope, humidité, chaleur, orage, gel, et très variable d’une espèce à l’autre. La rencontre de deux spores mûres, souvent libérées par le vent ou le passage d’un animal, produit un nouveau mycélium dit primaire, puis deux mycéliums primaires se rencontrent et forment le mycélium secondaire, la fusion de deux mycéliums secondaires engendrera de nouveaux champignons. Puis les spores s’échappent de l’hyménium de la nouvelle fructification et le cycle
recommence.
Comme ils n’ont pas de chlorophylle, les champignons sont incapables de faire la synthèse des substances nécessaires à leur survie. Ils sont donc obligés de puiser chez les végétaux les éléments nourriciers permettant de subsister. Leur croissance est assurée de façons diverses.
Spécialistes
Les saprophytes vivent en se nourrissant de déchets, de matières organiques en voie de décomposition, bois morts, écorces, feuilles, fruits pourris, excréments, cendres, branches cassées. Ce sont les éboueurs de nos forêts, ils participent au renouvellement, à la fertilité, à la bonne santé du sol forestier. Mais tout ce travail ne se fait pas en un jour, il faut plusieurs lunes pour voir une branche décomposée et le Fomitopsis pinicola mettra de longues années pour digérer un tronc de conifère.
Les parasites n’attendent pas que les arbres tombent pour s’attaquer à eux, ils les mangent tout crus, il en est de même pour les autres végétaux et les animaux. Ces champignons profitent d’une blessure faite par un animal, la foudre, une machine, pour que les filaments du mycélium s’installent au cœur de l’organisme blessé et le décomposent de l’intérieur. J’ai vu un prunier tailladé par une tondeuse à gazon envahi par l’Armillaria ostoyae dépérir en quelques années. Le Chalara fraxinea, responsable du flétrissement des frênes, fait de gros dégâts dans notre pays. Un champignon importé d’Asie, Ophiostoma ulmi, a anéanti une grande partie des ormes européens.
Les mycorhiziques forment quant à eux, avec les végétaux, une association fructueuse profitable aux deux partenaires. Cette symbiose se déroule sous terre au niveau des radicelles de l’arbre ou de la plante. Le mycélium pénètre et crée autour des racines un cocon cotonneux, offrant ainsi à son hôte des sels minéraux, des acides aminés et de l’eau. En échange, le champignon reçoit des nutriments et des sucres indispensables à sa vie. C’est un partenariat fongique, une fusion bien difficile à reproduire, c’est pourquoi il est pratiquement impossible de cultiver des bolets, des russules, des chanterelles. Quelques exemples de bel échange entre un végétal et un champignon : le bolet d’été (Boletus eastivalis) et les feuillus, la russule belette (Russula mustelina) et les conifères de montagne, le tricholome terreux (Tricholoma terreum) et le pin, ainsi que toute la série de bolets venant sous mélèzes. Certains carpophores sont de mèche aussi bien avec des feuillus qu’avec des sapins ou des épicéas, c’est le cas du cèpe de Bordeaux (Boletus edulis), du pied bleu (Lepista nuda), de la russule charbonnière (Russula cyanoxantha), etc.
Lors de votre prochaine promenade en forêt, soyez attentifs aux indices qui vous révèleront cet incroyable monde souterrain.